Espace des Étudiants (EE) 🎊💡📚🕯
June 12, 2025 at 01:17 PM
*12 juin 2017 – 12 juin 2025 : Huit ans sans justice, Huit ans d’impunité,huit ans d’attente*
*Introduction*
Cela fait aujourd’hui huit ans qu’un incident grave a secoué la Faculté d’Ethnologie de l’Université d’État d’Haïti (UEH), impliquant l’étudiant John Rock Gougueder en troisième année d’anthropo-sociologie et le doyen d’alors, le professeur Jean Yves Blot. Huit ans plus tard, aucune décision judiciaire n’a été rendue dans cette affaire. Ce silence de la justice, lourd de conséquences, soulève de nombreuses interrogations, aussi bien sur le fonctionnement du système judiciaire que sur la manière dont sont traités les conflits dans l’espace universitaire dans ce pays.
Le 12 juin 2017, la tension était vive à la Faculté d’Ethnologie. Elle faisait suite à la révocation de 19 étudiants issus de plusieurs entités de l’UEH, sanctionnés dans un contexte de protestation contre les conditions de fonctionnement de l’institution. Une tentative de médiation avec le doyen Jean Yves Blot, entamée dans la salle de tronc commun, s’est poursuivie à l’extérieur alors qu’il se trouvait dans son véhicule. La situation a dégénéré en altercation. Je ne me prononce pas sur l’intention¹ des deux parties impliquées, car je ne dispose pas de tous les éléments nécessaires à cet égard. Toutefois, le fait en lui-même s’est bel et bien produit.
Selon plusieurs témoignages, dont ceux rapportés par AyiboPost, HaïtiLibre et Le Nouvelliste, l’étudiant John Rock Gougueder aurait été grièvement blessé après avoir été percuté par le véhicule du doyen, alors qu’il tentait de bloquer le passage. Il a par la suite été convoqué au cabinet d’instruction et entendu par le juge Chavannes Étienne.
Il est important de préciser que je n’étais pas témoin direct de cet événement. Ma connaissance des faits provient de témoignages recueillis auprès d’étudiants encore engagés dans cette lutte pour la vérité, ainsi que d’articles de presse consultés à ce sujet (Le Nouvelliste, HaïtiLibre, AyiboPost).
Depuis, aucun jugement n’a été rendu, aucune réparation n’a été prononcée, aucun élément n’a été tranché de façon officielle par la justice. Ce mutisme institutionnel est préoccupant. Car au-delà du cas individuel, c’est tout un symbole : un conflit grave, impliquant un responsable universitaire et un étudiant, traité sans transparence, sans vérité, sans conclusion.
Dans un État de droit, la justice ne devrait pas rester figée aussi longtemps face à un événement aussi grave. Soit les faits sont reconnus, et des responsabilités établies, soit ils sont infirmés par une enquête rigoureuse et impartiale. L'absence prolongée de décision crée une zone grise dangereuse où l'impunité et la suspicion prospèrent.
Ce texte propose une analyse critique de l’affaire au regard de la loi , des théories en criminologie et en victimologie, afin de soulever les enjeux d’impunité, de traitement différencié et de déni de justice.
*Que dit la loi haïtienne ?*
Du point de vue du droit haïtien plusieurs éléments doivent être examinés :
*Infraction potentielle* :
Si les faits sont avérés, il s’agirait d’un acte volontaire ou au minimum d’une négligence grave ayant causé des blessures, relevant potentiellement de l’article 265 du Code pénal haïtien (coups et blessures volontaires) ou de l’article 319 (homicide ou blessures involontaires causées par imprudence ou négligence).
*Responsabilité disciplinaire* :
Le statut de fonctionnaire public du professeur impose un devoir de réserve et d’exemplarité. Une mesure administrative conservatoire (mise à pied temporaire ou suspension) aurait dû être envisagée dans l’attente des résultats de l’enquête.
*Droit de la victime* :
L’étudiant avait le droit à une protection, à une reconnaissance de son statut de victime, et à l'accès à un recours équitable. Son expulsion, dans ce contexte, peut apparaître comme une double peine illégitime.
*Approche criminologique et victimologique*
Selon Hans Von Hentig et Benjamin Mendelsohn, pionniers de la victimologie, il existe une tendance à blâmer les victimes, en les présentant comme provocatrices ou partiellement responsables des faits qu’elles subissent. Dans ce cas, l’université semble avoir adopté une posture punitive à l’égard de l’étudiant, au lieu d’assurer sa protection.
Ezzat Fattah, de son côté, insiste sur la nécessité d'un équilibre entre justice pour la victime et présomption d’innocence pour le présumé auteur. Or, ici, la longue durée de la procédure, l’absence de décision, et le maintien en poste du présumé auteur créent une situation d’injustice ressentie, pouvant engendrer un sentiment de victimisation secondaire, c’est-à-dire l’aggravation de la souffrance par l’institution elle-même.
*Analyse sociologique*
L’ université, lieu de savoir et de transmission des valeurs républicaines, devrait être un modèle de justice interne et de transparence. Pourtant, l’affaire Blot/Gougueder révèle des dysfonctionnements structurels : protection de figures de pouvoir, traitement discriminatoire des étudiants, silence institutionnel.
Il est problématique qu’un professeur mis en cause dans une affaire aussi grave continue à être invité dans des activités académiques, notamment dans des cours et conférences liés à la faculté, pendant que la victime demeure exclue de l’espace universitaire. Cette inégalité de traitement alimente un sentiment d’impunité et fragilise la confiance dans les institutions publiques, en particulier chez les étudiants.
Ce cas est symbolique d’un mal plus profond dans notre société : trop de victimes n’obtiennent jamais justice, trop d’innocents sont condamnés sans procédure équitable, trop d’affaires sont enterrées dans l’oubli administratif ou judiciaire. Cela alimente la méfiance envers les institutions, affaiblit l’État de droit, et laisse des cicatrices ouvertes dans notre mémoire collective.
Il est temps que la justice devienne une option réelle, crédible et accessible en Haïti.
Il est temps que les affaires ne soient plus jugées dans la rue ou sur les réseaux sociaux, mais devant les tribunaux, dans le respect de la loi, des droits humains et du principe fondamental de la présomption d’innocence.
Il est temps de revaloriser le rôle de la justice. Non comme outil de répression ou de privilège, mais comme garante de l’équité, de la réparation et de la vérité. Ce 12 juin 2025 doit être l’occasion de rappeler qu’un État démocratique ne peut fonctionner sans une justice crédible, accessible, indépendante.
*Conclusion et appel à la justice*
Ce dossier met en lumière une réalité plus large : en Haïti, trop de victimes attendent justice en vain, et trop d’affaires sont reléguées dans l’oubli. La lenteur et parfois l’inaction de la justice nourrissent la frustration sociale et sapent la confiance dans les institutions. À cela s’ajoute une tendance à juger dans l’opinion publique, sans enquête, sans procès équitable, où parfois des innocents sont condamnés par la société elle-même.
Ce cas doit être une opportunité pour repenser les procédures disciplinaires, judiciaires et éthiques dans les institutions publiques haïtiennes, afin de garantir la primauté du droit, la dignité de la victime, et la crédibilité de la justice.
Après huit ans sans décision judiciaire, il est impératif que le système judiciaire haïtien se prononce clairement : soit en innocentant formellement le professeur Blot si aucune charge ne peut être retenue contre lui, soit en le traduisant en justice, le cas échéant, pour que justice soit rendue à la victime.
Le droit haïtien, tout comme les principes universels des droits humains, impose que nul ne soit puni sans jugement, mais aussi que nul ne soit victime d’une injustice prolongée par le silence des institutions.
Huit ans, c’est trop.
Justice doit être faite.
¹ _Il est important de rappeler que, dans le cadre d’une infraction, l’intention (ou dol) constitue un élément essentiel à établir pour déterminer la responsabilité pénale. En l’absence d’éléments probants sur cette intention, seule l’enquête judiciaire est habilitée à qualifier juridiquement les faits._
*Bibliographie*
Code pénal haïtien, édition officielle.
Fattah, E. A. (1991). Understanding Criminal Victimization.
Mendelsohn, B. (1956). Une nouvelle branche de la science bio-psycho-sociale : la victimologie.
Von Hentig, H. (1948). The Criminal and His Victim.
Wemmers, J.-A. (2009). Victimology: A Canadian Perspective.
*Article*
AyiboPost. « L’UEH, la poudrière qui ne dérange pas ». https://ayibopost.com/lueh-la-poudriere-qui-ne-derange-pas
HaïtiLibre. « Des étudiants mettent le feu à la Faculté d’Ethnologie ». https://www.haitilibre.com/article-21216
HaïtiLibre. « Occupation illégale, l’UEH annonce les premières sanctions ». https://www.haitilibre.com/article-19229
Le Nouvelliste. « John Rock Gougueder interrogé au cabinet d’instruction ». https://lenouvelliste.com/article/179429
👍
💔
👏
❤️
💫
😒
😢
😮
22