FOCODE Magazine
FOCODE Magazine
June 14, 2025 at 05:35 PM
https://x.com/FOCODE_/status/1933933581392322946? 🔴 #notremémoire – CENI : un miroir de la démocratie burundaise « Les temps difficiles révèlent les hommes » : histoire des figures qui ont façonné, trahi ou honoré les élections au Burundi Le 5 juin 2025, les Burundais ont voté pour élire leurs représentants à l’Assemblée nationale. Ce scrutin, le neuvième depuis l’indépendance, s’est déroulé dans un climat marqué par la méfiance, l’exclusion et la crainte. Mais au-delà des résultats, une question traverse l’histoire politique du pays : que vaut une élection si ceux qui l’organisent ne sont ni crédibles, ni indépendants ? Depuis trois décennies, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) – ou les structures qui l’ont précédée – a été confiée à des hommes dont les profils, les convictions et les pratiques ont profondément influencé le cours des élections. Certains ont marqué l’histoire par leur probité. D’autres ont durablement affaibli la confiance dans l’institution. Retour sur six figures clés. 🔴 Térence Sinunguruza – L’honneur dans l’adversité (1993) En 1993, le Burundi organise ses premières élections multipartites depuis 1965. Le contexte est historique : la fin du parti unique, l’ouverture démocratique, et une société en quête de renouveau. À la tête de la commission électorale, placée alors sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, se trouve Térence Sinunguruza, magistrat chevronné et vice-président de la Cour suprême. Bien que dépendant formellement de l’exécutif, Sinunguruza supervise le scrutin avec une rigueur exemplaire. Les résultats sont publiés le lendemain du vote, sans appui technologique. Le FRODEBU, parti d’opposition, remporte la victoire face à l’UPRONA, alors au pouvoir. Une première sur le continent à cette époque. Son intégrité est saluée. Il est nommé représentant permanent du Burundi à l’ONU, puis occupe plusieurs portefeuilles ministériels, jusqu’à devenir Premier Vice-Président de la République sous le CNDD-FDD. Il laisse l’image d’un homme d’État loyal aux principes. Né en 1959 à Kayokwe (Mwaro). Décédé en mai 2020. 🔴 Professeur Paul Ngarambe – La rectitude face aux pressions (2005) Dix ans plus tard, les élections de 2005 se tiennent sous l’égide d’une CENI désormais indépendante, instaurée par l’Accord d’Arusha et la nouvelle Constitution. À sa tête : le Professeur Paul Ngarambe, universitaire respecté, homme d’expérience et de consensus. Dans un climat post-conflit encore fragile, il résiste aux sollicitations du président sortant Domitien Ndayizeye comme à celles du CNDD-FDD, ex-rébellion en quête de pouvoir. Il confie avoir subi des tentatives d’influence, et même des menaces contre sa vie. Pourtant, il tient sa ligne : celle d’un processus équitable. Les résultats sont transparents, rapidement diffusés, et acceptés. Le CNDD-FDD sort victorieux, dans un climat d’apaisement relatif. Ngarambe est aujourd’hui unanimement considéré comme l’un des très rares présidents de la CENI à avoir incarné l’impartialité jusqu’au bout. Né en 1951 à Busiga (Ngozi). Toujours en vie, il demeure une référence morale. 🔴 Pierre-Claver Ndayicariye – L’homme des régimes (2010 & 2015) Pierre-Claver Ndayicariye est un technocrate rompu aux arcanes du pouvoir. Conseiller du président Ntibantunganya (FRODEBU), puis ministre de la Communication et porte-parole sous Buyoya (UPRONA), il est nommé président de la CENI à partir de 2010, sous l’ère CNDD-FDD. Les deux scrutins qu’il supervise sont entachés d’irrégularités significatives. En 2010, certaines formations reçoivent des voix dans des communes où elles n’ont pourtant présenté aucun candidat. En 2015, en pleine controverse sur le troisième mandat de Pierre Nkurunziza, les élections sont boycottées par l’opposition, mais la CENI attribue des sièges à la coalition "Amizero y’Abarundi", pourtant absente du processus électoral. Ces pratiques renforcent l’image d’une commission au service d’un pouvoir désireux de se maintenir à tout prix. En 2018, Ndayicariye est nommé président de la Commission Vérité Réconciliation, mais continue de susciter la défiance d’une large partie de l’opinion. Pierre Claver Ndayicariye est né en 1960 à Bugenyuzi (Karusi). 🔴 Dr Pierre-Claver Kazihise – Le brouillard institutionnel (2020) Ancien directeur d’un établissement d’enseignement supérieur étatique, Dr Pierre-Claver Kazihise est présenté comme un intellectuel proche du pouvoir. Sa désignation à la tête de la CENI, en 2020, soulève peu d’espoir quant à l’indépendance de l’institution. Lors du scrutin présidentiel, les dysfonctionnements s’accumulent : publication de résultats erronés, justifiés a posteriori comme des "brouillons", interdiction faite aux journalistes de relayer les chiffres des procès-verbaux locaux, opacité persistante dans le traitement des données. De nombreux observateurs nationaux et internationaux estiment qu’Agathon Rwasa avait remporté l’élection. Pourtant, c’est Evariste Ndayishimiye qui est proclamé vainqueur. L’ère Kazihise inaugure une nouvelle pratique : l’organisation du silence, où tout chiffre devient suspect dès lors qu’il ne vient pas de la source unique – et contrôlée. Pierre Claver Kazihise est originaire de la province de Mwaro. 🔴 Prosper Ntahorwamiye – L’apogée du verrouillage (2025) Avant 2010, Prosper Ntahorwamiye est une figure discrète. Porte-parole de la CENI de Ndayicariye, puis secrétaire général du gouvernement sous Evariste Ndayishimiye, il est nommé à la tête de la CENI en 2023. Sa mission semble claire : consolider l’ordre établi. Son mandat franchit un seuil inédit dans l’histoire électorale du Burundi : pour la première fois, un candidat arrivé deuxième lors du scrutin précédent – Agathon Rwasa – est écarté de la compétition. De nombreux membres de son entourage politique le sont également. Le jour du vote, des anomalies d’une rare gravité sont constatées : urnes remplies avant l’ouverture des bureaux, votes forcés sous surveillance des milices du parti au pouvoir, résultats proclamés une semaine plus tard dans un huis clos absolu. Le CNDD-FDD s’octroie l’intégralité des sièges. Même les autorités coloniales, en 1960, avaient laissé l’UPRONA concourir malgré l’arrestation de ses leaders. Prosper Ntahorwamiye, lui, aura orchestré l’exclusion totale. Prosper Ntahorwamiye est originaire de Makamba. 🔴 Conclusion – Une mémoire à deux visages Deux figures se distinguent par leur rigueur, leur indépendance et leur fidélité à l’esprit démocratique : Térence Sinunguruza et Paul Ngarambe. À eux deux, ils incarnent l’idée que l’on peut organiser des élections transparentes dans un contexte burundais pourtant difficile. À l’opposé, Pierre-Claver Ndayicariye, Pierre-Claver Kazihise et Prosper Ntahorwamiye ont successivement affaibli la confiance dans l’institution électorale, chacun à sa manière. Mais Ntahorwamiye franchit un seuil nouveau : celui de la négation ouverte du pluralisme. 🔴 Leçon à tirer La qualité d’un scrutin dépend moins de la loi électorale que de ceux qui la font vivre. Tant que la CENI restera aux mains de personnes perçues comme inféodées à un camp, les élections ne seront que des rituels d’homologation du pouvoir. Une réforme profonde, fondée sur le consensus, est nécessaire pour restaurer la légitimité démocratique au Burundi.

Comments