Il est des phrases qui s’enfoncent comme des poignards. « Tu es belle pour une Noire » en fait partie. 
Derrière ces mots, un poison doux : la beauté noire foncée serait une anomalie. Un écart, jamais une évidence. Dans les imaginaires dominants – publicité, cinéma, réseaux sociaux – la femme noire est absente, ou exhibée comme une curiosité, mais rarement célébrée comme une norme. Ce que l’on érige en idéal : peau claire, nez fin, cheveux lisses. Pour être jugée belle, une femme noire doit souvent adoucir, effacer, gommer ce qui la relie à ses racines dans un cadre esthétique dominant. Une étudiante martiniquaise témoigne : « Tu es belle pour une Noire, tu n’as pas un gros nez comme les autres. »
Ce compliment en apparence flatteur est une violence symbolique. Il signifie : tu es belle malgré ce que tu es.
La beauté noire n’est pas reconnue dans sa vérité, mais seulement lorsqu’elle s’écarte d’elle-même. Et ce regard déformant s’infiltre jusque dans les plis intimes de la communauté noire.
Les femmes foncées aux traits marqués sont trop souvent perçues comme « dures », « viriles », presque menaçantes. On leur préfère les métisses ou les peaux claires, jugées plus douces, plus « présentables ». Comme si la féminité noire devait s’éclaircir pour être aimée. Pendant ce temps, les hommes noirs montent. Sportifs, artistes, figures viriles sont de plus en plus érigés en fantasmes planétaires.
Leur corps est désiré, même fétichisé. Et s’ils subissent le racisme, ils gagnent pourtant en capital séduction.
Les femmes noires, elles, doivent toujours prouver qu’elles sont « assez » : assez féminines, assez lisses, assez douces. L’ascenseur de la reconnaissance, pour elles, reste au rez-de-chaussée. Et parfois, le rejet vient de l’intérieur. Des hommes noirs eux-mêmes affirment préférer les femmes claires ou métisses, au nom d’un « goût personnel » façonné par des siècles de domination raciale. Il ne s’agit pas de préférence, mais de formatage. Il faut briser ce miroir brisé. Décoloniser nos regards, c’est intégrer que la noirceur de notre peau doit être célébrée dans la lumière, que nous soyons hommes ou femmes.